Photo courtoisie de l'UPA - De gauche à droite: Martin Caron, président général de l'UPA, Stéphane Alary, président de l'UPA Outaouais-Laurentides, et Marcel Denis, membre du conseil administratif de l'UPA Outaouais-Laurentides, lors de l'événement « Mirabel fête l'érable du Québec » en septembre 2024.

Les producteurs agricoles ont parlé, Ottawa doit agir

Le scrutin fédéral est maintenant derrière nous, mais pour les producteurs agricoles de l’Outaouais-Laurentides, le travail n’est jamais terminé.

Le 2 avril dernier, à l’aube de la campagne, l’Union des producteurs agricoles (UPA) de la région lançait un message sans équivoque aux partis en lice, dans un communiqué intitulé : Élections fédérales 2025 — Pour que l’intérêt des producteurs et productrices agricoles de notre région soit au cœur des priorités. Des demandes claires ont été formulées. Aujourd’hui, Stéphane Alary, président régional de l’UPA Outaouais-Laurentides, espère que les engagements pris ne tomberont pas dans l’oubli.

Lucide et engagé, il garde un œil ouvert sur les promesses électorales, en espérant que le milieu agricole soit enfin traité à la hauteur de son importance.

Alary n’est pas un nouveau venu. Producteur laitier et de grandes cultures à Luskville, à l’ouest de Gatineau, il œuvre dans le milieu agricole depuis plus de quarante ans. Sa ferme familiale, aujourd’hui à sa cinquième génération, incarne cet enracinement profond dans le territoire.

Président de la Fédération de l’UPA Outaouais-Laurentides depuis 2020, Stéphane Alary siège aussi au conseil exécutif de l’UPA au niveau national. Son engagement syndical, amorcé il y a une quinzaine d’années, repose sur une connaissance intime des réalités du terrain, mais aussi sur une volonté ferme de défendre l’autonomie et la vitalité des fermes d’ici.

La gestion de l’offre, un pilier à défendre

Pour M. Alary, la gestion de l’offre est bien plus qu’un mécanisme administratif : c’est une barrière de protection contre l’instabilité des marchés et un filet de sécurité pour les familles québécoises.

« Quand on protège la gestion de l’offre, on protège un peu notre frigidaire, notre garde-manger », affirme-t-il.

Dans les dernières années, les événements mondiaux ont illustré à quel point cette structure protège les consommateurs autant que les producteurs. Pendant que les États-Unis faisaient face à des pénuries, ici, personne n’a manqué d’œufs, de lait ou de poulet. Le système ajuste la production selon la consommation locale. « C’est une façon de rester maître chez nous », résume Alary.

Ce qu’il réclame maintenant, c’est un geste politique fort : une loi pour protéger la gestion de l’offre. Car la confiance a été ébranlée lors des dernières négociations avec le président Trump (ACEUM) en 2018, où des concessions ont été faites.

« On souhaite pouvoir dire qu’on est à 100 % confiants. Mais on ne l’est pas. On va voir le sérieux du gouvernement cette fois-ci. »

Alary ne mâche pas ses mots : les programmes actuels ne répondent plus à la réalité agricole. Entre les changements climatiques, l’explosion du coût des équipements et l’instabilité économique, les marges de manœuvre se sont effondrées.

« Il faut de 8 à 10 dollars pour en faire un seul en production. Tout a augmenté : les pièces, les intrants. Tout arrive en même temps ».

Et pourtant, la réponse gouvernementale repose encore trop souvent sur des prêts. Ce que l’UPA réclame, ce sont des aides directes, mieux arrimées aux réalités économiques des fermes d’ici. Alary évoque notamment les programmes Agri-relance ou Agri-stabilité, qui peinent à s’adapter aux nouvelles conditions climatiques.

Il rappelle aussi que les producteurs ne demandent pas l’aumône, mais un partage plus équitable du risque.

« On est déjà dans une crise. Ils disent qu’on va vivre une crise économique, mais nous, ça fait des années qu’on y est […] On est prêts à mettre 2 % du budget dans l’armement, mais moins de 1 % dans l’agriculture. Avant d’aller à la guerre, faut que tu manges ».

Quel attrait pour la relève ?

Le constat est dur, mais lucide. Le monde agricole vieillit, et les jeunes hésitent à reprendre le flambeau. Il y a plusieurs causes, estime Stéphane Alary, l’une d’elles est une fiscalité mal adaptée, à des terres de plus en plus chères, parfois achetées par des fonds d’investissement, et à un environnement économique peu invitant.

« Ce n’est pas juste une ferme qui ferme, c’est une génération qu’on perd. Une part de patrimoine. En ce moment, on perd une ferme laitière par jour au Québec », déplore-t-il.

Au-delà des chiffres, le président observe un changement plus profond dans la manière dont la nouvelle génération envisage l’agriculture. « C’est une génération bien consciente de la famille, du temps, de l’individu », dit-il. Là où les générations précédentes ont bâti des entreprises au prix d’innombrables sacrifices, les jeunes d’aujourd’hui veulent concilier passion et qualité de vie. Et pour que ces projets soient viables, il faut des conditions qui reconnaissent cette réalité : un accès équitable à la terre, du soutien à l’établissement, et des revenus décents. Autrement, les fermes risquent de devenir des musées d’efforts passés plutôt que des projets d’avenir.

Après les promesses, le test du réel

Il salue certains progrès récents, comme le projet de loi 208 ou le PL 86 sur les registres de transactions, mais estime qu’on est encore loin du compte. Il plaide pour un financement agricole à taux vraiment bas, et pour une meilleure valorisation de l’agriculture auprès du public.

« On est rendus avec des marges tellement petites… On a vu le revenu net agricole passer de +500 millions à -128 millions au Canada en quelques années, on vit sur nos anciens profits ».

À la tête de l’UPA Outaouais-Laurentides depuis les débuts de la pandémie, M. Alary est inébranlable quand on lui souligne que son parcours n’a rien d’un long fleuve tranquille :

« J’ai toujours aimé les défis. C’est sûr que c’est plus facile d’être négatif que d’être positif, mais tu sais, dans tout ça, dans tout ce qui se passe en ce moment, y’a eu quand même un réveil, au niveau de la population par rapport à l’achat local, ça, c’est positif », dit-il.

Les demandes de l’UPA Outaouais-Laurentides sont connues : une loi claire pour protéger la gestion de l’offre, des programmes de soutien réellement adaptés aux nouvelles réalités agricoles, et des mesures fiscales qui favorisent une relève viable. Ce sont les conditions minimales pour que les fermes de la région puissent non seulement survivre, mais se projeter dans l’avenir.

Le gouvernement élu n’a plus d’excuse. Il a été interpellé, informé, mobilisé. À lui maintenant de démontrer qu’il considère la sécurité alimentaire comme une vraie priorité.

Dany Baribeau
dbaribeau@groupejcl

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