Image maïs, haricot, courge

Les trois sœurs, témoignage d’une vision holistique de l’agriculture

Les trois sœurs est une expression qui fait référence à une technique agricole qui marie la culture du maïs, des haricots et celle des courges.

Originaire des continents américains, la technique des trois sœurs était utilisée autant par les autochtones de la vallée du Saint-Laurent que par les Incas, les Aztèques et les Mayas, qui la surnommaient milpa.

Il s’agit tout simplement de planter dans une même parcelle de terrain les trois végétaux. Le but de cette méthode est de favoriser le développement des plantes en mettant à profit les forces de chacune d’entre elles, palliant par le fait même les faiblesses ou les besoins des unes et des autres.

Le haricot a besoin de grimper, besoin d’un tuteur, alors le maïs agit comme support, comme soutien. Par ces racines, le maïs permet aussi d’aérer le sol. Les courges, de toutes formes, se répandent au sol. Se faisant, elles assurent l’humidité du sol et grâce à leurs épines, éloignent les herbivores qui seraient tentés de dévorer les récoltes. La courge empêche aussi les herbes indésirables de se développer. Enfin, le haricot nourrit la terre et ses deux sœurs en captant l’azote pour la redistribuer dans le sol.

L’idée est simple, mais efficace et qui plus est, permet de fournir une alimentation presque complète (glucides, protéines et vitamines).

La légende des trois sœurs

La technique des trois sœurs, comme presque tout dans les cultures autochtones des Amériques, est présentée dans une légende. Il y a plusieurs versions, au sein même de la culture iroquoise d’ailleurs. En voici une.

Trois sœurs vivaient séparément et ne s’entendaient pas. L’aînée, Maïs, grande et droite, se faisait brûler les pieds dans son champ et était étouffée par les herbes. Haricot, produisant facilement de la nourriture, n’était pas en mesure de se tenir debout et se salissait, couchée au sol. La dernière sœur, Courge, était forte mais avait toujours faim. Bien que les trois sœurs souhaitaient demeurer indépendantes, elles eurent un jour l’idée de se réunir pour s’aider mutuellement. Maïs permit ainsi à Haricot de se lever, qui permit par le fait même à Maïs et à Courge de se nourrir. Enfin, Courge empêcha Maïs d’avoir les pieds brûlés et d’être envahi.

Cette légende iroquoise nous enseigne ainsi l’importance de l’entraide, du partage et de l’interdépendance des éléments qui constituent une entité. Cette légende ainsi que la technique agricole qu’elle soutient, témoigne finalement de la vision holistique que pouvaient avoir les anciennes sociétés, soit une vision du monde dans son ensemble, mettant de l’avant la perspective que tout est en interdépendance. L’holisme prend aussi en compte les aspects intangibles de l’étant, soit la conscience et la spiritualité, qui s’intègrent au monde empirique. D’ailleurs, remarquons que pour les autochtones des sociétés précolombiennes, les trois plantes, ainsi que les autres éléments de la nature, avaient une conscience.

Réunir l’holisme et l’analytisme

Depuis plusieurs siècles, nous avons une vision du monde plutôt analytique, héritée du raisonnement des Grecs de l’Antiquité, qui ont pensé à tout quantifier, à catégoriser, à classer et à comprendre séparément les différents domaines de la connaissance. C’est grâce à la pensée analytique que les différents champs disciplinaires de la science moderne ont pu voir le jour : physique, chimie, biologie, géologie, histoire, etc. Toutefois, une pensée strictement analytique, bien qu’elle puisse nous amener à comprendre les choses de manière extrêmement précise, peut parfois nous imposer des œillères et nous empêcher d’inclure certaines données ou phénomènes influents dans notre objet d’études ou face à une problématique.

Bien que les sciences ne soient pas strictement analytiques, certaines d’entre elles intègrent de plus en plus une approche holistique dans leur manière d’aborder leur domaine d’étude. L’écologie par exemple est une excellente manifestation de la réunion des approches analytique et holistique. Cette science se base sur l’échantillonnage, la quantification et le calcul, mais elle prend toutefois en compte les influences d’une culture ou d’un phénomène sur les autres facettes de la nature ou des sociétés.

Par exemple, en écologie, on ne se contentera pas de découvrir comment maximiser la production d’un légume. Plutôt, on pensera aux effets de sa production, sur la terre, les plans d’eau, l’atmosphère et les sociétés.

En définitive, notre approche analytique, qui nous permet de connaître le fonctionnement de chacune des cultures, gagnerait-elle à s’intégrer davantage à une vision holistique des sciences agricoles, permettant par le fait même d’apporter une solution aux différents enjeux auxquels nos sociétés feront face dans les décennies à venir?

Les questions qui restent en suspens : est-ce que la technique des trois sœurs pourrait se faire à grande échelle? Pourrions-nous appliquer la technique à d’autres amalgames de fruits et légumes? Est-ce que les monocultures devraient être abandonnées ou à tout le moins repensées?

 

Simon Martel

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